Texte écrit par David Liaudet à l'occasion de l'exposition Anthropofiction
Piacé-Le-Radieux
Avril 2025
On aurait vite fait de dire du travail de Maëlle Ledauphin qu’il est l’héritier d’un surréalisme au féminin reprenant le flambeau de l’étrangeté, de l’onirisme, du mystérieux et du sexuel. Mais il ne faut pas se priver de réinscrire ce travail dans cette tradition. Après tout, tout dans son langage plastique y fait référence. On est d’abord saisi par ce qu’on ne comprend pas de ses images. Je dis images comme je le fais souvent pour ce qui évoque chez moi une certaine inscription historique et ici c’est notre commun culturel occidental qui me saute aux yeux : l’imaginaire fantastique du Moyen-Age. On dirait bien que Maëlle Ledauphin sait articuler le merveilleux laissant des morceaux de sa vie personnelle (et surtout sexuelle) inventer une sorte de fabrique des étonnements. C’est ça qui arrive. Elle n’est pas fantasque l’artiste, elle est au contraire inscrite pleinement dans ce qu’elle reçoit du Monde, éveillée comme on dit aujourd’hui. Et comme il n’y a bien entendu aucun sujet contemporain mais seulement des manières contemporaines de saisir le Monde, Maëlle Ledauphin fait ce qu’elle peut avec les images qui surgissent et celles qu’elle construit avec une grande documentation. Oh non ! Ne faites pas l’erreur de parler d’un inconscient ! Non ! Elle est bien trop présente à son travail, bien trop maligne, bien trop au centre de ce qu’elle construit. Elle est très claire, elle, pas ici d’expérience automatique ou médiumnique. Elle me dit combien elle aime « l’irruption dans le savant du populaire. »
Et puis, il y a la manière, ce pastel gras si ingrat, si difficile à faire sortir d’une pratique scolaire ou enfantine. Matériau peu précis pour dessiner, matière raide pour peindre, c’est pourtant souvent avec celui-ci qu’elle définit son monde qui ne laisse alors aucun éclat, aucune ombre hors d’un certain réalisme. C’est clair, presque un peu didactique dans cette clarté des signes, entre un Magritte ou d’une affiche scolaire pour l’étude de l’anatomie d’une fleur. Pas de ce flou d’une peinture fantasque, pas de brouillard de la touche, tout est bien tenu à sa place, avec force, délicatesse faisant de ses pastels des démonstrations radicales de ses compétences de, justement, sa re-présentation.
On peut donc, si on veut, lire ses peintures et rire. On rit souvent en regardant ses peintures. On entend ce rire de Topor se mêlant au nôtre. Ce rire est parfois grave, parfois un peu gêné, toujours malin car il ne s’impose pas. Le regardeur est étonné d’être là face à autant de liberté sans le militantisme bon teint d’aujourd’hui. C’est sa franchise, que voulez-vous, ça étonne encore aujourd’hui cette franchise.
Comme j’ai eu la chance de la connaitre et de partager un moment de sa construction, je sais aussi de Maëlle Ledauphin comment elle doute aussi parfois, comment elle travaille beaucoup toujours, comment elle ne veut pas tomber dans le piège d’un Art de femme. Elle n’a pas besoin de ce genre d’affirmation. Elle est bien trop libre. C’est certainement ce qui est le plus osé chez elle, cette totale indifférence à certains combats. Maëlle Ledauphin est totalement dans sa liberté, sous un ciel qu’elle décide. Elle ne confond pas son monde pictural et le réel. Elle ne se venge de rien de ce dernier. Elle n’a pas peur et cela ne produit aucune impudeur sur la jouissance ou trouble du genre. Cela fabrique bien un universel dans lequel chacun pris dans son propre imaginaire peut plonger. Un portail roman en quelque sorte, une miniature persane, une pyramide aztèque, une revue gay pornographique, un codex, et finalement presque jamais de rêves partagés. Certes, elle pourra, du bout du doigt, du bord des lèvres, vous décrypter un peu son monde. Mais ne vous attendez à aucune description enfantine et symbolique d’une Louise Bourgeois. Comme elle aime à le dire : « je pars toujours d’un sujet. » C’est bien ça qui est dangereux. Faites attention. Soyez prudents.
The drawer n°24
Under 25
Un numéro spécial consacré aux travaux d’une trentaine d’étudiant.es
Plateforme éditoriale et curatoriale, The Drawer publie et conçoit depuis 2011 une revue de dessin, des ouvrages monographiques, des livres d’artistes et des expositions autour du dessin.
Ascèses
Recueil de Frédéric Riera, avec des illustrations de Maëlle Ledauphin.
brochure fusionnée
par les lasers de la Méduse
au premier trimestre 2024
isbn : 978 2 9556130 6 1
40p. éditions arapesh